Cajoler son spleen

Cajoler son spleen

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Vague à l'âme

10 Feb 21

Je viens m’inscrire en faux contre la condamnation dont fait sujet en général la tristesse et le spleen.
Voici un extrait du très beau film de Luca Guadagnino “Call me by your name”. Quand le père touché par la tristesse de son fils qui essuie un douloureux revers amoureux lui dit :

We rip out so much of ourselves to be cured of things faster, that we go bankrupt by the age of thirty. And have less to offer each time we start with someone new. But to make yourself feel nothing so as not to feel anything… What a waste! […]
Right now there’s sorrow, pain, don’t kill it and with it the joy you felt.”

Nous nous déchirons tellement pour guérir des choses plus rapidement, que nous sommes brisés dès trente ans. Et nous avons moins à offrir chaque fois que nous commençons avec quelqu'un de nouveau. Mais chercher à anéantir son ressenti pour ne rien ressentir… Quel gâchis ! […]
Maintenant, tu as du chagrin, de la douleur, ne les détruis pas et avec eux la joie que tu as ressentie.


Je retiens deux aspects de ce joli conseil :
- La tristesse est toujours l’effet compensatoire d’une grande joie. “Tuer” cette tristesse est aussi condamner la joie dont elle procède.
- On retrouve là la douce tristesse qui nous fait ressentir la vie qui coule encore en nous, et il convient de l’écouter, de la cultiver, et la laisser s’apaiser jusqu’à ce qu’elle trouve sa place au calme en nous.

Je me souviens d’avoir écouté un thanatologue qu’on m’avait conseillé peu après la mort de mon conjoint. Il disait en substance qu’il était important d’aborder le sujet du défunt avec la personne en deuil au lieu d’éviter le sujet comme on le fait habituellement, sous prétexte que “je ne voudrais pas remuer le couteau dans la plaie et lui rappeler sa détresse” . En effet, il est illusoire de s’imaginer qu’une mère qui a perdu son enfant ne passe ne serait-ce qu’une demi heure sans y penser !!
Il expliquait l’intérêt de l’amener à parler du défunt, de raconter sa vie, se rappeler les souvenirs partagés, revivre son histoire. Il faisait le parallèle avec l’émotion qui s’empare de nous à la lecture d’un bon roman : forte, intense, puissante, fiévreuse. Une fois fermé l’ouvrage, ces émotions restent intactes, brûlantes. Si on relisait le livre une autre fois, peut-être qu’elles seraient toujours aussi fortes. Mais à la quatrième lecture, ce qui nous a tant remué ne fera peut-être plus que nous émouvoir, à la sixième notre visage sourira encore, mais à la dixième il ne restera qu’une douceur qui aura gardé le meilleur, et ce tumulte sera apaisé, apprivoisé. Nous garderons les bons moments, les tournants tristes, toutes les étapes, mais avec une dimension qui tient à l’intérieur de nous.


Ils en parlent :

“Call me by your name” - Luca Guadagnino

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